Thematic Hearing Brief: La situation de l’accès à l’information en Haïti (March 2015)

Le Kolektif Jistis Min, l'Observatoire Mega-Projet, la Global Justice Clinic de la New York University et un journaliste haïtien [« les soussignés »] ont sollicité une audience à caractère général afin d'attirer l'attention de la Commission interaméricaine des droits de l'homme [« CIDH », « Commission interaméricaine »] sur la situation du droit d'accès à l'information en Haïti. La Commission interaméricaine et la Cour interaméricaine des droits de l'homme [« Cour interaméricaine »], le Rapporteur Spécial pour la Liberté d'Expression et les États membres de l'Organisation des États Américains ont maintes fois souligné l'importance du droit d'accès à l'information pour la vitalité de la démocratie. En particulier, le Rapporteur spécial pour la liberté d'expression de la CIDH rappelait en 2011 que l'accès à l'information constitue un outil important pour l'exercice d'autres droits tels que les droits politiques ainsi que les droits économiques et sociaux, notamment par les groupes marginalisés. 1 Dans le cadre de cette audience, et en tenant compte de la présente crise politique en Haïti ayant mené à la paralysie du Parlement, les soussignés souhaitent exposer les impacts de l'omission de l'État haïtien de garantir la pleine jouissance du droit d'accès à l'information, protégé par l'article 13 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme [« la CADH », « la Convention » « la Convention américaine »] ainsi que par l’article 40 de la Constitution haïtienne [« la Constitution »].

En particulier, le droit d'accès à l'information revêt une importance accrue dès lors que le Parlement haïtien est devenu inopérant depuis le 13 janvier dernier. Considérant que le Parlement n'est pas en mesure d'exercer le rôle de contre-pouvoir qui lui revient, le gouvernement haïtien doit redoubler d'efforts afin de faire preuve de la plus grande transparence dans l'exercice de ses fonctions. En effet, tenant compte de l’importance des projets touristiques et miniers en cours et de l'impact à long terme de certaines décisions du gouvernement haïtien sur la situation des droits humains dans le pays, notamment quant au développement des industries minière et touristique, les soussignés estiment que le respect du droit d'accès à l'information est de la plus grande importance.

Les questions suivantes sont abordées dans le mémoire: 1) l'omission de l'État haïtien d'adopter une loi et un mécanisme garantissant la jouissance effective du droit d'accès à l'information; 2) l'introduction au sein d'un projet de loi minière d'une clause de confidentialité interdisant l'accès à des documents et informations d'intérêt public pour une période de dix ans; 3) l'impact de l'omission du gouvernement haïtien de garantir la jouissance effective du droit d'accès à l'information dans le contexte du développement de projets miniers et touristiques sur les communautés directement affectées par ces projets; et 4) l'impact de cette situation sur la pratique du journalisme et sur la capacité des médias d'informer les citoyens haïtiens au sujet d'enjeux d'intérêt public.

Ainsi, premièrement, aucune loi ne met en œuvre l'article 13 de la CADH et les articles 28 et 40 de la Constitution haïtienne garantissant le droit à la liberté d'expression relativement à l'accès à l'information. En outre, il n'existe en Haïti aucune procédure administrative permettant de répondre aux demandes d'accès à l'information formulées par les citoyens haïtiens. Dans le cadre du Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention interaméricaine contre la corruption, le gouvernement a effectivement admis que « Haïti ne dispose pas encore d'une loi définissant le droit d'accès à l'information.»2 Le Parlement haïtien a également cru bon de prévoir au sein de la Loi portant prévention et répression de la corruption qu'une « loi sera adoptée pour définir le droit d’accès à l’information.» 3 Jusqu’à présent une telle loi n’a ni été adoptée, ni été proposée

Deuxièmement, l'insertion d'une clause de confidentialité au sein du projet de loi minière, tel que rédigée dans la version du mois d'août 2014, contrevient à la Convention américaine. Effectivement, le libellé très large de l’article 115 risque d’être interprété comme s’il exigeait que toute information relative à l’exploitation minière doive rester confidentielle. Une telle interprétation pourrait soustraire de l'œil du public les études d’impacts environnementaux et sociaux et l’information concernant les recettes provenant de l’exploitation minière. Ainsi, il n'est pas possible de considérer que la restriction au droit d'accès à l'information prévue par l'article 115 du projet de loi minière cherche à atteindre l'un des objectifs énumérés à l'article 13 (2) de la CADH, à savoir de veiller « au respect des droits ou à la réputation d'autrui » ou de veiller « à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, ou de la santé ou de la morale publiques ». 4 En outre, une telle restriction au droit d'accès à l'information ne peut être justifiée au sein d'une société démocratique, c'est-à-dire qu’une restriction générale au droit d'accès à l'information n'est ni proportionnelle à la protection de l'information d'ordre purement commerciale, si cela est l'intérêt qu'elle cherche à protéger, et n'est ni formulée de façon à constituer l'atteinte minimale au droit d'accès à l'information.5

Troisièmement, l'omission de l'État de garantir le droit d'accès à l'information a d'importants impacts sur la population haïtienne dans le contexte du développement des industries minière et touristique. Ainsi, l'omission d'informer les populations affectées par des activités d'exploration minière, de même que de rendre disponible l'information pertinente en créole, la langue de tous les Haïtiens, a accentué la vulnérabilité de ces communautés dans la mesure où celles-ci peuvent difficilement faire valoir leurs droits face aux entreprises minières et au gouvernement haïtien. Par exemple, de nombreux individus ayant signé un document permettant à une entreprise minière d'accéder à leur terre ont témoigné à l'effet que s'ils avaient bénéficié de l'information pertinente, notamment quant à l'impact qu'auraient les activités d'exploration sur leurs terres, ils auraient refusé de signer un tel document. De plus, dans le contexte du développement du projet touristique de l'Île-à-Vache, l'omission du gouvernement de garantir l'accès à l'information aux résidents de la région de même qu’aux leaders communautaires s'intéressant à la question nuit considérablement à leur capacité de s'organiser collectivement et de faire entendre leurs voix aux autorités.

Quatrièmement, l'omission de l'État de garantir l'accès à l'information pose aussi des obstacles à la pratique du journalisme. En effet, les difficultés rencontrées par les journalistes pour accéder à l'information limitent leur capacité à informer le public et influent négativement sur la vitalité de la démocratie haïtienne. En outre, l'accès des journalistes à l'information revêt présentement une importance accrue compte tenu que le gouvernement est appelé à adopter des décisions stratégiques relatives au développement de l'industrie minière alors que le Parlement ne peut fonctionner normalement depuis le 13 janvier 2015.

Enfin, les soussignés recommandent notamment qu'une loi garantissant l'accès à l'information soit adoptée, conformément à la procédure parlementaire régulière, que le gouvernement s'abstienne d'insérer une clause de confidentialité violant la CADH au sein d'une éventuelle loi minière et qu'il rende public l'information qu'il détient au sujet du projet touristique de l'Île-à-Vache et du développement de l'industrie minière à moins que le refus de transmettre l'information ne satisfasse les critères établis par la Cour interaméricaine (que l'exception à la présomption en faveur de la divulgation maximale soit prévue par la loi, permise par la Convention américaine et nécessaire dans une société démocratique). Les recommandations des soussignés se fondent sur la décision de la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Claude Reyes c. Chili6 , de même que sur les recommandations du Comité d'experts du Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention interaméricaine contre la corruption.7

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